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EXCLUSIF | Covid-19 : les acteurs du restructuring montent au front


| 1427 mots

En parallèle de l’urgence sanitaire, l’urgence économique. Pour répondre aux besoins des entreprises françaises les plus impactées, les professionnels du redressement des sociétés s'engagent en attendant un nouveau train de mesures…

Les « urgentistes » appelés au chevet des sociétés mal en point, c’est eux : les spécialistes du restructuring. Et une semaine après l’entrée en vigueur des mesures de confinement en France et le ralentissement, voire l’arrêt, des activités des entreprises, eux-aussi sont très sollicités. Toute proportions gardées, ils se retrouvent dans la même situation que les médecins aujourd’hui, face à un afflux de sociétés « malades » pour lesquelles il convient d’évaluer les dommages déjà causés directement et indirectement par la pandémie et auxquelles il faut administrer un « traitement adapté ». Avec les moyens mis à disposition. En attendant mieux.

Les entreprises françaises, toutes en difficulté

Hélène Bourbouloux, FHB

Hélène Bourbouloux, FHB

L’effet de sidération passé, les acteurs économiques ont entamé une rapide introspection pour évaluer leurs capacités de résistance face à cette crise inédite. « Toutes les entreprises françaises sont devenues, en 48h00, des entreprises en difficulté », résume Hélène Bourbouloux, administratrice judiciaire à Paris, dont la société Facques Hess Bourbouloux, s’est organisée elle aussi en télétravail en quelques heures…Depuis le début du confinement, les spécialistes du restructuring sont donc très occupés. « Depuis jeudi dernier, c’est le rush », confiait Maxime Mazuy, qui a ouvert récemment l’antenne de Squareness à Lyon. Sur son bureau et celui de ses confrères commençaient à tomber, dès la fin de la semaine dernière, les demandes de clients qui au mieux cherchaient à calibrer leur demande d’aide à Bpifrance et, pour les plus en difficulté, recherchaient une solution pour payer les salaires à la fin du mois… en passant par tous ceux qui essayaient de voir clair dans les mesures d’urgence mises en place par le Gouvernement. Les administrateurs et mandataires judiciaires ont créé, avec le Ministère de l’Économie et des Finances, un numéro vert (0 800 94 25 64) opérationnel depuis lundi 23 mars et, au sein des cabinets de conseil, on a édité des fiches, mis en place des hotlines pour répondre à un maximum de questions… Toujours un peu les mêmes. « Elles concernent les modalités du chômage partiel, le traitement des dettes LBO (seront-elles traitées comme crédits d’investissement moyen terme ?), l’exonération du paiement des loyers… » détaille Lionel Hanachowicz, avocat associé chez Lamartine Conseil.

Une page inédite de la restructuration

Maxime Mazuy, Squareness

Maxime Mazuy, Squareness

« Pour les entreprises en bonne santé jusque là, il s’agit de procéder à un diagnostic de trésorerie, d’évaluer les besoins, ce qui peut être mis en place pour elles et comment », résume Maxime Mazuy. « On ouvre une page inédite de la restructuration » estime quant à lui Guillaume Requin, administrateur de Prévention & Retournement, une association qui regroupe des professionnels de l’accompagnement des entreprises en difficultés à Lyon, Marseille et Bordeaux. On parle de 70 % des entreprises qui déposeraient une demande de chômage partiel… Nous montons des dossiers afin que les entreprises puissent bénéficier des nouvelles mesures. » Ce qui est moins simple qu’il n’a pu y paraître suite aux annonces présidentielles et l’effet « waou » qu’elles ont pu susciter dans un premier temps. « Nous avons vite compris qu’elles étaient difficiles à mettre en place dans les délais annoncés » confie un professionnel du secteur. « La réussite de ce dispositif passe notamment par les banques, martèle Hélène Bourbouloux. Si elles distribuent les crédits de soutien et prennent leur part du risque (10 %), on ne bloquera pas le système. Pour cela, il faut qu’elles aient la « bande passante » nécessaire et qu’elles connaissent parfaitement les outils. » Reste que ces dispositions ne bénéficieront pas à tout le monde, loin s’en faut.

Flottement autour des entreprises fragilisées

Lionel Hanachowicz, Lamartine Conseil

Lionel Hanachowicz, Lamartine Conseil

Certes les entreprises en bonne santé financière jusque là et sans problèmes particuliers devraient pouvoir bénéficier des dispositifs de soutien mis en place par l’Etat (lire notre fil d’actu Coronavirus : Les acteurs économiques se mobilisent -en continu-). Mais il en va différemment pour les autres, déjà fragilisées, voire en procédure amiable ou collective. « Beaucoup ne répondent pas aux critères et ne peuvent bénéficier des dispositions mises en place, eu égard à la réglementation européenne, souligne Hélène Bourbouloux. Elles ne pourront pas bénéficier des prêts bancaires, ni de la garantie de l’État. C’est pourquoi nous militons pour que les juridictions puissent ouvrir des procédures de conciliation, de redressement judiciaire, afin que les entreprises bénéficient de la protection des tribunaux et que le paiement des salaires soit assuré. » Autrement dit, les professionnels attendent aujourd’hui d’autres procédures et mesures que celles annoncées par la Direction des affaires civiles et du sceau le 19 mars. Celle-ci avançait dans un message adressé aux différentes juridictions concernées, que « l’ouverture de nouvelles procédures de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire ne paraît pas, en principe, relever de l’urgence et se révélerait inutile et inefficace compte tenu des moyens disponibles limités pour mettre en œuvre ces procédures », précisant qu’un mandataire ad hoc pouvait en revanche être désigné pour soutenir les entreprises qui n’ont pas cessé leur activité. La réaction des professionnels ne s’est pas faite attendre : par la voix de l’ARE (l’Association pour le Retournement des Entreprises), ils ont demandé que les tribunaux puissent « ouvrir en voie numérique les procédures de sauvetage pour payer les salaires et sauver les emplois » assurant que « les professionnels et les juges » sont prêts à le faire, d’autant « qu'il existe une plateforme digitale très performante créée par les greffiers » où peuvent être déposées « les demandes d'ouverture de conciliation et de redressement judiciaire ».

La possibilité d'un "raz de marée" des mandats ad hoc

« Jusqu’à aujourd’hui, j’ai trouvé une solution pour tout le monde », témoignait Lionel Hanachowicz vendredi dernier. Parmi les solutions, quatre demandes de mandat ad hoc, dont l’un pour une entreprise d’un millier de salariés qui devra décaisser 1,7 M€ de salaires avant la fin du mois. Que se passera-t-il si elle ne prend pas en charge le décaissement ? Et si les banques et Bpifrance ne sont pas en ordre en de marche pour payer? « Étant donné qu’on ne peut pas ouvrir de procédure de conciliation, on se tourne vers les mandats ad hoc…. Et l’on risque d’assister à un raz de marée, prédit le conseil. Reste que pour celles qui seront en état de cessation des paiement l’ouverture d’une procédure permettrait au Régime de Garantie des Salaires -AGS- de prendre le relais. « À Lyon, le tribunal de commerce est en activité avec deux juges au maximum sur place et dans des bureaux séparés -les autres sont chez eux - et un greffe exceptionnellement présent, explique Thierry Gardon, son président. De leur côté, les administrateurs et mandataires judiciaires, conseils... sont organisés : nous pouvons faire le job ! » La semaine dernière, pas moins de 50 mandats ad hoc ont été ouverts (170 par... an, en temps «normal»). « Le Parquet a continué à œuvrer et nous avons tenu nos procédures de façon dématérialisée. Pour l’heure, nous n’avons pas traité les assignations, mais les déclarations de cessation des paiements, précise le président. Notre principale inquiétude, ce sont les PME. » Dans l’attente d’une ordonnance annoncée pour ce mercredi 25 mars, toutes les audiences sont reportées à vendredi, dans la capitale des Gaule. « L‘ordonnance nous permettrait d’être saisis par tous les moyens dématérialisés, de tenir des audiences dématérialisées et ça, on sait faire ! » Reste à savoir si les digues mises en place par les tribunaux de commerce résisteront à la déferlante de dossiers qui risque de s’abattre sur eux.

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