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Loi "Florange" : autopsie d'une censure


| 1133 mots

Ce texte symbolique s'est fait partiellement censurer en raison de certaines imprécisions et d'une subtile analyse du Conseil constitutionnel. La "loi Florange" n'en reste pas moins applicable pour l'essentiel et sera bientôt complétée. Les grandes entreprises désireuses de fermer un site doivent en tenir compte.

La "loi Florange" est un texte symbolique, comme le montre bien son titre officiel - loi "visant à reconquérir l'économie réelle". La sidérurgie française, concentrée entre les mains d'un champion national, Usinor, s'était intégrée au sein d'un champion européen, Arcelor, qui réunissait Français, Espagnols et Luxembourgeois. Quand Mittal a procédé au rachat de l'ensemble, par la voie d'une offre publique non sollicitée, la France ne pouvait s'y opposer : elle n'y avait aucun titre juridique et, de surcroît, le siège de l'ensemble était désormais situé au Luxembourg. Il en était résulté une sourde frustration, devenue franche colère, quand les hauts fourneaux français avaient été fermés - alors même, selon les syndicats, que les unités concernées étaient rentables et auraient pu trouver un repreneur. Les hommes politiques se sont emparés du sujet : l'ancien Président de la République, d'abord, puis l'actuel. Le passage des promesses aux actes étant par essence délicat, le gouvernement est resté prudent : le texte de loi n'émane pas d'un "projet" de l'exécutif mais d'une "proposition" déposée par les députés.

Que pouvait-on réglementer ?

Une première option aurait consisté à partir du constat de la difficulté à ouvrir aujourd'hui un nouveau site sidérurgique en Europe, tant les contraintes réglementaires et environnementales sont lourdes. Il en résulte des barrières à l'entrée protégeant les entreprises titulaires des sites existants. Dès lors que fermer un site sans le proposer à la revente revient à renforcer cette position privilégiée, le texte aurait pu s'appuyer sur le droit de la concurrence pour chercher à mieux encadrer ce type de situation. C'est une seconde option qui a été choisie. La proposition de loi s'est inspirée de la thématique des "licenciements boursiers", comme prévu par l'engagement de campagne n°35 du Président de la République. En simplifiant, toute entreprise membre d'un groupe de plus de mille salariés souhaitant fermer un établissement (et procéder aux licenciements collectifs correspondants) doit d'abord rechercher un repreneur et lui céder ledit établissement en cas d'offre "sérieuse", le tout sous peine de sanctions civiles prononcées par le tribunal de commerce. Concernant la procédure de recherche, non censurée par le Conseil Constitutionnel, la loi prévoit que l'employeur devra rechercher des repreneurs potentiels au titre d'une simple obligation de moyen. Le comité d'entreprise pourra participer au processus de recherche et, à ce titre, aura accès aux mêmes informations que celles que l'employeur aura décidé de donner aux candidats repreneurs. L'employeur devra en outre informer du projet de cession l'autorité administrative et le maire de la commune de l'établissement concerné. L'employeur devra in fine rendre compte de ses démarches auprès du comité d'entreprise, qu'il ait décidé de céder le site ou non.

Quid des sanctions ?

Le dispositif (avant censure) était le suivant. En cas de manquement de l’employeur à ses obligations, le comité d’entreprise pouvait prendre l’initiative de demander au tribunal de commerce si l’effort de recherche d'un repreneur avait bien été fourni. En outre, en cas de rejet d'offres de reprise, le tribunal devait déterminer, en premier lieu, si ces offres étaient "sérieuses", notamment au regard de la capacité de leur auteur à "garantir la pérennité de l'activité et de l'emploi de l'établissement", et, en second lieu, si le refus de cession était fondé sur un "motif légitime", défini comme "la mise en péril de la poursuite de l'ensemble de l'activité de l'entreprise". A défaut, le tribunal pouvait imposer le versement d'une pénalité dont le montant devait être affecté à divers dispositifs en faveur de l'activité et de l'emploi sur le territoire concerné. La pénalité n'était pas discrétionnaire, d'une part parce qu'elle devait tenir compte "de la situation de l'entreprise et des efforts engagés pour la recherche d'un repreneur" et d'autre part parce qu'elle elle était à la fois limitée à vingt fois la valeur mensuelle du SMIC par emploi supprimé, et soumise à un plafond total égal à 2 % du chiffre d'affaires. Enfin, il pouvait être exigé de l'entreprise qu'elle rembourse tout ou partie des aides financières publiques versées au titre de l'établissement concerné.

Censures par le Conseil constitutionnel

Des dispositions essentielles de cette seconde partie ont été censurées par le Conseil constitutionnel. Trois points ont été critiqués. Le premier reproche - et le principal - a été l'absence d'une définition suffisamment précise de la notion d'offre "sérieuse" et le caractère trop restrictif des conditions dans lesquelles l'entreprise peut légitimement refuser de céder son établissement. Or, pour le Conseil constitutionnel, la fermeture d'un site fait partie de la gestion ordinaire d'une société - en étant trop floue sur les conditions dans lesquelles le juge consulaire pouvait apprécier le comportement de l'entreprise en la matière, la loi autorisait une immixtion du juge dans la gestion de l'entreprise qui était contraire au principe de la liberté d'entreprendre (un principe lui-même un peu flou, au demeurant). D'où la censure. Le deuxième reproche est classique : en régentant la cession d'un site, la loi touche au droit de propriété, qui jouit d'une protection constitutionnelle. Dans le contexte du premier reproche, ce n'était pas acceptable. Certes, le Conseil constitutionnel cite le « droit d’obtenir un emploi », qui a aussi une valeur constitutionnelle, mais sans s'y arrêter outre mesure. Enfin, en raison des deux premiers reproches, les pénalités apparaissaient disproportionnées et ne pouvaient donc être validées. Et c'est ainsi que des dispositions essentielles de la loi, formulées de façon un peu trop floues, ont été anéanties par l'effet d'une subtile interprétation et d'un savant dosage des grands principes constitutionnels.

Se préparer en amont

Il a été annoncé que la partie censurée du texte serait réécrite. Cependant, la loi est dès à présent applicable. Les grandes entreprises souhaitant procéder à la fermeture d'un site doivent s'y préparer en envisageant la cession du site concerné et en préparant la consultation du comité d'entreprise y afférente. Ces procédures sont loin d'être simples et nécessitent une importante préparation en amont.

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