A compter du 24 octobre, tous les contrats d'assurance-vie et plans d'épargne retraite individuels en gestion pilotée devront proposer aux épargnants des fonds de private equity. Il s'agit de l'un des effets de l'article 35 de la loi Industrie verte (LIV), fraîchement entrée en vigueur. Malgré une publication des premiers textes il y a un an, certaines questions restent en suspens. Côté assureurs, « il y a d'abord eu un choc sur l'offre car il existait peu de véhicules conformes à la LIV. Cela est en train de se résorber, mais il reste encore un travail important d'adaptation des processus et des systèmes informatiques des acteurs qui n'avaient jamais - ou peu - introduit de private equity dans leurs produits », exprime Mathilde Des Courtis, directrice générale déléguée du cabinet de conseil SeaBird.
Des délais trop courts
Ce retard s'observerait surtout chez les mutualistes, peu coutumiers des unités de compte illiquides. Mais les acteurs les plus avancés ne sont pas épargnés pour autant. « Les derniers décrets sont parus cet été. Même pour un système d'information aussi agile que le nôtre, il est compliqué de mettre en œuvre aussi rapidement l'intégralité des changements requis, notamment du fait du grand nombre de clients que nous gérons et du caractère sur-mesure des contrats de nos partenaires distributeurs », illustre Anaid Chahinian, directrice générale de Spirica, qui a commencé à référencer des fonds de non-coté en 2018 pour en compter désormais une douzaine. « Nous serons néanmoins prêts dès aujourd'hui sur l’intégralité de notre stock de contrats et travaillons sur de nouvelles solutions pour début 2025 », précise la dirigeante. Malgré ces évolutions déjà concrètes touchant aussi la documentation (pré-)contractuelle des contrats, la LIV « manque parfois de clarté, par exemple concernant la possibilité d'intégrer du private equity dans un programme de versements programmés », souligne Jean-François Felix, managing partner et P-dg d'Elyan, qui estime toutefois que la loi « va dans le bon sens en ouvrant le private equity à une clientèle plus large ».
L'apparition des « valeurs estimatives »
Des zones d'ombre subsistent aussi dans les pratiques des GPs. Notamment autour des périodes de lock-up initial des fonds (avec un flou pesant sur la date à laquelle les FCPR doivent commencer à mettre en œuvre leur allocation d'actifs cible), la poche de liquidité idoine (variant entre 15 à 30 % en fonction de l'humeur de l'AMF, aux dire de certains gérants), ainsi que sur la méthode de valorisation des fonds retail. « Nous sommes en relation avec France Invest et des sociétés de gestion pour avoir une interprétation cohérente des différentes dispositions, comme par exemple les modalités de calcul des valeurs estimatives bimensuelles », exprime le P-dg d'Elyan, qui vient de référencer son FCPR evergreen EdRPEO chez Generali. L'association des professionnels du non-coté s'est, en effet, saisie du sujet afin « d'opérationnaliser les attentes du régulateur de façon raisonnable pour les gérants », plaide Alexis Dupont, son directeur général. S'agissant des valeurs estimatives - qui constituent un nouveau référentiel légal pour les assureurs confrontés à des rachats d'UC entre deux valorisations liquidatives espacées de plus de deux mois : « il y avait notamment des questions sur la prise en compte des événements très significatifs (acquisition, cession, entrée en procédure collective d'une participation..., ndlr) qui interviendraient entre deux valeurs liquidatives et qu'il faut arriver à refléter pour que la valeur estimative soit en ligne avec celle du sous-jacent », précise le DG de France Invest.
Des volumes de collecte à relativiser
Ces valorisations intercalaires sont, dans les faits, déjà requises par la plupart des assureurs sur une base bimensuelle. Pour Marc Guittet, les règles imposées par la LIV doivent donc plutôt être de nature à rassurer les GPs. « Les valeurs estimatives viennent valider une pratique de Place, qui peut toutefois susciter des questions chez les nouveaux entrants », comprend le directeur associé chez 123 IM. De quoi donner une prime aux acteurs dotés des équipes middle et back office les plus aguerries, comme en atteste Luc Maruenda, partner en charge de l'activité Wealth Solutions d'Eurazeo, qui n'a pas attendu la création de ce nouveau mécanisme pour calculer la valorisation (liquidative, et non estimative) du véhicule EPVE3 de façon hebdomadaire. « La loi Industrie verte est une excellente nouvelle pour l'industrie du non-coté et pour l'éducation du marché. Pour autant, il faudra beaucoup de temps pour flécher des volumes importants vers les marchés privés ». Les projections varient, mais s'accordent en effet à prouver qu'il n'y aura pas de tsunami de nouveaux flux. Selon SeaBird, environ 550 M€ et 240 M€ pourraient être alloués chaque année au non-coté - respectivement en assurance-vie et en PER -, en partant de l'hypothèse que chaque contrat affiche un profil équilibré (soit investi à 4 % en PE pour l'assurance-vie et 8 % pour les PER à l'horizon long) sur la base d'une collecte brute en UC identique à celle de 2023. Et le champ des possibles pourrait même être plus restreint. « La gestion pilotée est souvent organisée par des asset managers, qui pourraient être tentés d'utiliser au maximum les allocations sur les titres cotés éligibles au PEA-PME, lesquels rentrent dans les quotas LIV », avertit Luc Maruenda.
Vers des produits défensifs...
Les sujets de valorisation peuvent également être sources d'imbroglio chez les assureurs. « D'après notre interprétation des textes, le mécanisme permettant d'impacter la valeur liquidative d'une pénalité en cas de stress de liquidité ne peut pas être appliqué aux fonds référencés avant l'entrée en vigueur de la loi Industrie verte. Cela peut donc amener à une inéquité de traitement entre les véhicules, selon la date à laquelle ils ont été référencés », regrette Anaid Chahinian. Une sélection naturelle dont pourraient aussi pâtir les véhicules à la stratégie d'investissement trop éloignée des attentes des assureurs. « L'obligation de référencer du non-coté va certainement amener les assureurs à privilégier les produits défensifs, donc moins risqués, notamment investis en dette privée et en infrastructure », est convaincu Xavier Anthonioz, patron d'123 IM, qui se veut donc pour l'heure attentiste avant de potentiellement ouvrir les vannes sur la diffusion de son FCPR Horizon Patrimoine (pour l'heure doté d'environ 3 M€ et cantonné aux Percol Generali).
... et bientôt verts ?
Si l'infrastructure est souvent perçue comme la classe d'actifs idéale pour financer la transition énergétique, la loi Industrie verte n'impose, pour l'heure, aucun investissement dans des actifs décarbonés - ou en voie de l'être. Faute à un cadre suffisamment unifié ? « Nous avons lancé il y a quelques mois un groupe de travail avec le comité du Label ISR pour obtenir, comme l'a fait l'immobilier, une certification adaptée au capital-investissement. Nous avons à bon espoir que 2025 soit l'année du label ISR pour le private equity », projette Caroline Steil, directrice Policy, juridique et fiscal de France Invest. Verts ou non, ces nouveaux produits « obligatoires » imposent aux distributeurs un devoir de conseil renforcé, selon Anaid Chahinian, qui s'étonne de la pérennisation « paradoxale » de certains dispositifs peu protecteurs pour les épargnants. Notamment « d'un vieux texte selon lequel il n'est pas possible d'appliquer de pénalité de sortie anticipée sur un fonds de private equity evergreen logé dans un contrat d'assurance-vie de plus de 10 ans ». Immuables malgré le changement de gouvernement, les décrets entrés en application ce jour ont encore un dernier obstacle législatif à passer. Les éventuelles discussions de l'Assemblée nationale autour de la fiscalité du PER ou de l'avantage successoral lié à l'assurance-vie - dont les encours atteignent 85,7 et 1 970 Md€ - dans le cadre du PLF pourraient peser sur l'attractivité de ces enveloppes... Côté fournisseur, pas d'inquiétude en tout cas : « le régulateur est conscient que des ajustements seront menés tout au long de l'année 2025, avec un alignement du marché plutôt attendu en 2026 », rassure Mathilde Des Courtis.